M. Robert: «Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise…»

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Titel
«Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise…». Réforme et contrôle des moeurs: la justice consistoriale dans le Pays de Neuchâtel (1547-1848)


Autor(en)
Robert, Michèle
Erschienen
Neuchâtel 2016: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
465 S.
von
Aline Johner, Modern History, Université de Lausanne

L’histoire de l’exercice de la discipline morale sous l’Ancien Régime n’avait jamais fait l’objet d’une véritable synthèse pour le Pays de Neuchâtel, lacune richement comblée par l’ouvrage de Michèle Robert. Comme le souligne son auteure, seule la mise en place des cours de justice avait jusqu’ici bénéficié d’un traitement précis: leur fonctionnement, le détail de leurs activités, et surtout les tensions ayant jalonné leur existence – de leur adoption à partir de la Réforme à leur abolition en 1848 – demeuraient encore peu connus.

C’est donc avant tout l’histoire d’une institution, celle des consistoires seigneuriaux, que Michèle Robert propose de retracer. L’important travail de dépouillement des archives effectué par l’historienne neuchâteloise pour les tribunaux de Valangin, Môtiers, Travers et Gorgier permet d’éclairer non seulement les aspects propres à chacune de ces cours, mais offre également un panorama du climat social, politique et religieux de plus de trois siècles d’histoire neuchâteloise.

Le choix du cadre géographique et chronologique constitue certainement l’atout majeur de cette recherche, en raison du contexte particulier que présente le comté de Neuchâtel. Ancienne possession d’un roi français, il offre l’exemple d’un territoire réformé, alors pourtant sous l’égide d’un souverain catholique. La faible ingérence de ce dernier permettra aux pouvoirs locaux de bénéficier d’une relative autonomie, à l’origine de la mise en place d’un appareil disciplinaire «à deux étages». Parallèlement aux consistoires seigneuriaux, placés sous l’autorité du prince et composés de membres laïcs et ecclésiastiques, les pasteurs obtiendront la création de consistoires paroissiaux, qui fonctionneront en tant que tribunaux de première instance, mais dont le rôle demeurera essentiellement admonitif. Le contenu des séances des cours paroissiales, tenues secrètes, n’a malheureusement pas pu être exploité. Mais ce partage donnera lieu à un perpétuel bras de fer entre les deux instances, la singularité de cette justice à deux niveaux déterminant une pratique consistoriale distincte des autres régions protestantes de Suisse, ce qui confère à l’étude de Michèle Robert un intérêt particulier dans le paysage historiographique.

Autre spécificité des consistoires seigneuriaux neuchâtelois étudiés par Michèle Robert, ils se maintiennent jusqu’en 1848, soit près d’un demi-siècle plus longtemps que dans les autres territoires protestants de Suisse. En privilégiant une approche sur la longue durée, l’ouvrage met en exergue les évolutions de la discipline ecclésiastique à l’aune des importantes mutations politiques et religieuses qui traversent la période, depuis l’affirmation du protestantisme jusqu’à l’émergence d’un État moderne.

La section la plus importante s’intéresse aux types d’infractions poursuivies, principalement celles relatives aux atteintes à la morale sexuelle qui, comme ailleurs, constituent progressivement la principale préoccupation des consistoires. Pour chacun des quatre tribunaux étudiés, l’auteure expose les délits, les peines encourues ainsi que les évolutions du dispositif légal, chaque catégorie étant illustrée par plusieurs exemples. On regrettera peut-être que la démarche s’attache essentiellement à répertorier ces affaires par type de délits, alors qu’elles soulèvent des problématiques qui auraient mérité une mise en perspective ainsi qu’un ancrage plus important avec l’histoire de la sexualité.

Les deux autres groupes d’infractions étudiés – les manquements à la discipline ecclésiastique puis les comportements scandaleux – témoignent d’abord de la présence et de la survivance de pratiques populaires (superstitions, magie, consultation de devins), ainsi que des coutumes de la vie quotidienne (danses, déguisements, jeux). Les délits évoqués dans cette section offrent également un aperçu de la manière dont les normes qui ont accompagné la Réforme se sont mises en place, et surtout les résistances qu’elles ont pu susciter. Injures faites aux pasteurs et rébellion à l’encontre de ces derniers, refus de suivre l’office religieux ou de comparaître devant les consistoires admonitifs, révèlent combien le processus d’introduction de la nouvelle foi a également engendré des résistances au niveau de la population, notamment parmi les notables. Sur la base d’une analyse qui s’appuie scrupuleusement sur la documentation, Michèle Robert parvient avec succès à démontrer que la lutte entre pouvoirs séculiers et religieux ne s’est pas limitée à la concurrence entre les pasteurs et les instances gouvernementales, les autres acteurs de la société n’ayant pas constitué des objets passifs face aux événements.

De manière générale, la structure de l’ouvrage permettra au lecteur souhaitant se renseigner sur les divers aspects de la justice consistoriale neuchâteloise de s’orienter rapidement grâce à un découpage qui suit successivement la chronologie, la typologie des délits, les lieux, et l’évolution des lois. Cette organisation ne laisse qu’une place assez modeste à l’élaboration d’une analyse plus sociale des phénomènes examinés (malgré la présence d’un chapitre dédié aux origines socioprofessionnelles des prévenus), l’ampleur du cadre chronologique et de la documentation exploitée expliquent cependant assurément ce parti pris.

Il faut se réjouir de la parution d’une telle étude dont l’ampleur du travail explique la rareté. Par le regard complet qui est porté à l’institution des consistoires seigneuriaux du Pays de Neuchâtel, l’ouvrage constituera à n’en point douter un outil de référence pour contextualiser tous les futurs travaux qui se pencheront sur des aspects plus spécifiques que la richesse des sources mises au jour par Michèle Robert ne manqueront pas de susciter.

Zitierweise:
Aline Johner: Michèle ROBERT: «Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise…» Réforme et contrôle des moeurs: la justice consistoriale dans le Pays de Neuchâtel (1547-1848), Neuchâtel: Alphil, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 248-249.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 248-249.

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